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boutiques et les carrefours menaient, fatalement à l’athéisme, tandis que la vue des champs inspirait là religion. Deux années de misère s’écoulèrent ensuite, sans que je puisse me rappeler les événements qui signalèrent ma vie. — Un jour, à la place de ma mère, je vis apparaître une femme âgée dont j’eus peur : — Sois sage, me dit-elle en s’efforçant de me calmer, ta mère te voit sans cesse du haut du ciel. — Bien ! répondis-je dans l’ignorance où j’étais de toutes choses, je vais la regarder aussi !

Quoique à peine âgé de huit années, je pris une courageuse résolution et formai le projet de m’évader. Je n’avais pas à craindre la surveillance de la vieille femme, qui ne m’apportait ma nourriture qu’à de rares intervalles. Mais ce qui m’effrayait, c’était la pensée de me trouver face à face avec les hommes, que je me suis de bonne heure habitué à considérer comme les êtres les plus sérieusement redoutables de la création.

Prenant modèle sur les matelots qui faisaient mouvoir leur canot avec des pagaies, je lançai à la rivière un tonneau vide à moitié défoncé, je m’y laissai tomber, et, agitant une perche à la surface de l’eau, je vis bientôt ma barque improvisée partir à la dérive. Mon premier mouvement fut de me réjouir de ma belle manière d’avancer, mais le péril auquel j’étais exposé me frappa bientôt, et j’en eus apparemment si bien la