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abîmes, lorsqu’un personnage singulier, comprenant sans doute les pensées qui s’agitaient dans mon âme, me frappa sur l’épaule et me dit :

— Tu veux mourir ! Je ne t’en blâme pas. Le grand Être le permet, car il nous a donné des armes pour nous détruire. Seulement le devoir nous commande de ne pas déplaire à nos semblables, et ton corps, en corruption sur ce rivage, pourra nuire à tes frères et peut-être les faire périr ; tu n’as pas d’épée, en voilà une, mais arrange-toi de façon, en mourant, à ne pas obliger tes pareils à relever ton cadavre pour le déposer dans la tombe, car il serait injuste et égoïste de les inquiéter de ta chair. Agis comme bon te semblera, mais il est coupable, sache-le, de troubler en quoi que ce soit la quiétude des autres !

Ce raisonnement me sembla plus logique qu’étrange, et je résolus de vivre.

Trois mois après, je débarquais à Yédo. Je m’installai bravement sur le quai, criant à tue-tête aux passants que les pastèques que je vendais surpassaient en saveur et en délicatesse toutes celles de mes confrères les débitants du même fruit.

Mon petit commerce me fit sortir de la grande misère ; mais, peu désireux de continuer à rétrécir mon intelligence en grossissant ma bourse, je tentai de rentrer dans une voie moins diamétralement opposée à mes goûts.