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— Vous voulez, me dit-il, fouler le vieux sol d’Europe ; prenez garde, il y a là contagion de tyrannie et de paganisme. Moi qui vous parle, j’y suis né, et après y avoir vécu heureux, je m’y suis vu si misérable que j’ai préféré en partir. Aujourd’hui le monde entier est ma patrie. Je convertis les âmes généreuses aux principes libéraux ; tous ceux qui veulent le bonheur de leurs semblables m’appellent. J’ai l’âme bonne, mais emportée et fougueuse. S’il m’est bien arrivé parfois de verser du sang, je le faisais pour le bien ; et, après tout, l’humanité y a gagné. Je suis un être terrible et je vous fais peur, n’est-ce pas ?

En effet, l’incohérence de ses discours me le faisait prendre pour fou, et je ne pouvais maîtriser un certain sentiment de crainte.

— Je vous fais peur ! continua-t-il ; vous avez tort. Rassurez-vous. Je suis meilleur qu’on ne pense. Ma franchise effraye ; beaucoup d’autres sont hypocrites, voilà tout. Je frappe au grand jour ; mes ennemis étranglent dans l’obscurité.

— Mais d’où venez-vous et où allez-vous ?

— Je voyage sans cesse. Je viens de partout et je vais partout.

— Et de quoi vivez-vous ?

— Je ne suis pas pauvre ! D’ailleurs, j’ai des fils dévoués en Amérique. D’autres, en Europe, m’ont trompé. Ils ont abusé de mon nom. Je les aimais