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Second groupe de variantes


Dans un second groupe de variantes, le sang qui teint la neige n’est plus le sang d’un animal sauvage, corbeau, corneille, pie, lièvre, gazelle ; c’est le sang d’un animal domestique, d’une bête de boucherie. Le thème va se dépoétisant.

Quelle vulgarité déjà dans un conte écossais[1], où ce qui évoque chez un prince l’image jusqu’alors insoupçonnée de la belle aux trois couleurs, c’est la vue d’un corbeau (un corbeau vivant), qui, sur un tas de neige, tient en son bec un morceau de chair ! Mais d’autres contes trouvent moyen de renchérir sur ce prosaïque : c’est devant un tableau d’abattoir que se met à rêver une jeune fille.

Un vieux manuscrit irlandais, datant du milieu du xiie siècle et connu sous le nom de Le Livre du Leinster, contient dans un de ses récits l’épisode suivant (il s’agit de la belle Deirdre, qui sera la cause de bien des combats et de bien des meurtres)[2] :

Un jour d’hiver, pendant que son père nourricier écorchait un veau sur la neige hors de la maison, Deirdre vit un corbeau qui buvait le sang mêlé à la neige, et elle dit à Lebarcham, la magicienne : « Le seul homme que je puisse aimer, c’est celui qui aura les trois couleurs : les cheveux comme le corbeau, les joues comme le sang, le corps comme la neige. » Et Lebarcham lui dit : « L’homme que tu souhaites n’est pas loin ; c’est Noïsi, fils d’Usnech. »

À des centaines de lieues de l’Irlande, chez les Roumains de Transylvanie, on a recueilli un conte dont l’héroïne est une « fille d’Empereur »[3] :

Il avait neigé fort ; la princesse était à sa fenêtre et regardait dans la cour où, pendant qu’elle dormait, on avait tué des porcs. Et elle dit : « Y a-t-il bien, en ce monde, un homme qui serait blanc comme neige et rouge comme sang ? » Un petit oiseau qu’elle avait pris en affection, lui dit : « Rouge comme sang et blanc comme neige, c’est le fils de tel Empereur. »

  1. J. F. Campbell, Popular Tales of the West Highlands, Edimbourg, 1860-1862 Vol. III, p. 200.
  2. D. Mac Innes, op. cit. Notes d’Alfred Nutt, p. 402 et p. 432. — Une traduction française de ce récit se trouve dans la Revue des Traditions populaires (année 1888, p. 202).
  3. Ausland, année 1856, p. 1076.