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Page:Cosquin - Les Contes indiens et l’Occident, 1922.djvu/43

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Le conte indien de Sodeva Bâî n’est pas le conte de Cendrillon, mais certainement il lui est apparenté. Ici et là, une pantoufle, une riche pantoufle, est perdue par l’héroïne, et elle est ramassée par un prince, que la jeune fille épousera. Mais, dans Sodeva Bâî, la pantoufle n’a pas été donnée par un personnage mystérieux à une pauvre fille ; elle a été confectionnée à grands frais par l’ordre d’un puissant roi, père de l’héroïne. De plus, c’est en se promenant que la princesse Sodeva Bâî perd sa pantoufle d’or et de pierres précieuses ; ce n’est pas en s’enfuyant après avoir assisté en contrebande à une fête, comme Cendrillon. Enfin, ce que le roi du conte indien fait publier par ses crieurs, c’est que la princesse a perdu une pantoufle faite de telle façon, et qu’il y aura bonne récompense à qui la rapportera. Il ne s’agit pas du tout, en la circonstance, de rechercher, comme dans Cendrillon, à qui appartient l’objet perdu ; la proclamation des crieurs, parvenue de proche en proche aux oreilles du prince, lui a fait savoir d’une façon certaine où il doit rapporter ce qu’il a trouvé. D’où il suit que, dans Sodeva Bâî ne figure pas l’essai de la pantoufle.

Cette forme particulière, très simple et sans éléments merveilleux, du thème qui a donné naissance au conte de Cendrillon, n’a pas, que nous sachions, été retrouvée jusqu’à présent hors de l’Inde.

Mais, qu’il s’agisse de n’importe quelle forme du thème de la pantoufle, la question de savoir si, comme tant d’autres thèmes, celui-ci aurait une origine indienne, serait, d’après un folkloriste anglais, M. Joseph Jacobs, tranchée aussitôt que posée, et M. Jacobs en donne cette raison : « L’Inde est essentiellement (essentially) un pays où l’on na pas de chaussures (a shoeless country) ». Donc un conte du type de Cendrillon, dont l’« incident caractéristique » est l’« épreuve de la chaussure » (the shoe test), ne peut être originaire de l’Inde[1].

C’est évidemment l’idée générale de « chaussure » que M. J. Jacobs exprime par son mot shoe ; car peu importe, au point de vue général du thème de Cendrillon, que la chaussure perdue, ramassée par le prince et qui ne s’adapte qu’au pied de l’héroïne, ait été un soulier proprement dit, ou une pantoufle, ou même une sandale.

  1. Folk-Lore, septembre 1893, p. 702.