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Page:Cosquin - Les Contes indiens et l’Occident, 1922.djvu/48

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fidélité non point littéraire, mais servilement littérale, les Tibétains ont traduit un grand nombre d’ouvrages sanscrits pour les insérer dans leurs immenses compilations bouddhiques. C’est ainsi qu’ils ont fait passer dans leur langue une des variantes de la légende indienne de l’ascète Rsyashringa[1]  :


La princesse Çantâ a été donnée en mariage par le roi son père à un rishi (ascète) qu’elle a su attirer dans ses filets. S’apercevant que son mari lui est infidèle, elle commence à le traiter de haut en bas, et, un jour, pendant une altercation, elle lui donne avec son soulier (mit dem Schuh, traduction Schiefner) un grand coup à la tête. L’ascète se dit que, pour être ainsi traité par une femme, ce n’est pas la peine de rester dans le monde. Et il retourne à ses exercices ascétiques et il se remet en possession des « cinq claires-vues » (in den Besitz der fünf Klarsichten)[2].


Malheureusement, le mot sanscrit par lequel l’original indien désignait la chaussure de Çântâ est voilé par une double traduction, tibétaine d’abord, puis allemande. Cette chaussure devait être quelque chose comme les pantoufles de Pabhâvatî, cette autre princesse indienne[3].

  1. Cette légende a été étudiée par M. H. Lüders, actuellement professeur à l’Université de Berlin (Die Sage von Rsyasrnga, dans les Nachrichten der K. Gesellschaft der Wissenschaften zu Gœttingen. Philologisch-historische Klasse, 1897, p. 87 et suiv. ; 1901, p. 1 et suiv.). — La traduction tibétaine qui se trouve dans le Kandjour, a été mise en allemand par Anton Schiefner (Indische Erzæhlungen, n° 13, dans les Mélanges asiatiques, publiés par l’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg, t. VIII, 1881, p. 116 et suiv.).
  2. Les cinq abhijnâs ou connaissances surnaturelles : les pouvoirs magiques, l’ouïe divine, la connaissance des pensées d’autrui, le souvenir des existences antérieures, la vue divine (Communication de M. L. Finot).
  3. L’objet propre de ce petit travail étant de grouper des faits établissant l’existence de la chaussure dans l’Inde ancienne et moderne, nous nous sommes interdit de descendre dans les curiosités de détail. — Sur ce qu’a de particulièrement infamant, en Orient, le fait d’être battu avec un soulier, nous nous bornerons donc à renvoyer à la Bibliographie des auteurs arabes de M. Victor Chauvin (fasc. V, Les Mille et une Nuits, (2e partie, p. 196, note 2). — Nous ne ferons non plus que signaler ici la brève et spirituelle notice d’Otto Jahn sur les Athéniennes de Lysistrata, sur Omphale et autres femmes qui, dans la littérature grecque et la littérature romaine, menacent de corriger ou corrigent effectivement les pauvres hommes à coups de « cothurne » ou de " sandale » sur la figure ou ailleurs (Berichte der Kœn. Sæchsischen Gesellschaft der Wissenschaften zu Leipzig, 1855 p. 224). — Nous le répétons, toutes ces choses, si intéressantes qu’elles puissent être, sont en dehors du cadre que nous nous sommes tracé.