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vers la France ; en quoi la majorité de ses sujets l’approuvait. De vieilles sympathies accrues par un courant récent d’intellectualisme rapprochaient les deux pays. Les Français n’avaient guère cessé d’être populaires en Russie. Soudainement les Russes le devinrent en France à un degré prodigieux. La flotte française frappa le tsar d’admiration. « Je ne croyais pas, murmura-t-il, que les marins d’une république pussent avoir cette tenue-là ». De ce jour l’alliance franco-russe exista. L’esprit en devança la lettre. Au retour la flotte fit escale à Portsmouth et y fut fêtée. L’Angleterre à son tour honorait la république. Peu avant, Léon XIII avait indiqué aux catholiques français qu’ils devaient désormais séparer « le trône et l’autel » et se rallier au régime établi. Ainsi s’opérait une sorte de convergence générale ; et selon l’expression d’un chroniqueur, on avait l’impression que « la France était rentrée en Europe ».

L’empereur d’Allemagne depuis son avènement lui avait témoigné des prévenances mais sans y mêler jamais le désir d’évoquer la question d’Alsace pour en régler ou seulement en atténuer les termes. De là un malentendu persistant. À Paris on attendait que cette réserve cessât et à Berlin, que Paris comprit qu’elle ne pouvait cesser. Jules Ferry et même Gambetta l’avaient compris naguère mais la « Ligue des patriotes » et son chef Déroulède pensant servir l’intérêt national et entretenir en même temps la noble fidélité des provinces séparées, évoquaient à tout propos et souvent hors de propos les souvenirs douloureux de 1870. Leur action se fit particulièrement intempestive à propos du voyage de l’impératrice. Mal préparée et mal conduite par l’ambassade allemande, l’aventure faillit tourner au tragique. Paris manqua triplement à ses traditions par son attitude envers une femme qui, anglaise de naissance et frappée par le malheur, lui avait toujours marqué une vive sympathie[1]. L’empereur en conçut, comme on pouvait le penser, un profond ressentiment. Cependant il ne se laissa pas dominer par son irritation. Mais bientôt un autre sentiment germa en lui auquel on n’a pas pris garde, qu’a révélé sa correspondance privée avec Nicolas II et dont aussi bien la genèse est trop naturelle pour qu’on s’étonne d’avoir à en relever les effets.

  1. L’impératrice était venue en messagère officieuse de son fils convier les peintres français à une exposition d’art à Berlin. Il est à remarquer que dès 1878 les artistes allemands avaient exposé à Paris. Il n’y avait donc rien d’anormal dans cette démarche. L’invitation avait d’abord été acceptée. L’effervescence nationaliste fut artificiellement soulevée et sans motif sérieux.