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les Hollandais, s’ils n’ont guère perdu de territoires, ont vu diminuer leur influence et s’amoindrir leur rôle international. Les uns et les autres pourraient se montrer intolérants en matière religieuse. La Suisse, à cet égard, a des traditions orageuses ; les Suédois sont passionnément luthériens ; les Grecs ont contracté une dette d’infinie reconnaissance envers l’orthodoxie qui, pendant les siècles d’esclavage, entretint parmi eux le culte de la patrie ; la majorité des Hollandais auraient le droit d’envisager avec inquiétude les progrès sur leur sol du catholicisme, peu conforme au génie de leur race. Ce sont là, semble-t-il, des conditions propres à éveiller des jalousies, à entretenir des rancunes, à légitimer certaines étroitesses en même temps qu’à faire naître des ambitions d’autant plus âpres qu’elles sont moins avouées. Or, de quoi le nationalisme est-il fait, sinon d’ambition, d’étroitesse, de rancune et de jalousie ?

Eh bien ! non. Ces petits pays y échappent. Ils se gouvernent avec une sagesse que devraient imiter bien des grands États. Leur patriotisme ne se répand pas en vaines paroles : il est discret, mais agissant. Certains d’entre eux, comme la Hollande et la Suède, donnent une impression de solidité morale, d’harmonieux équilibre que, nulle part ailleurs, on ne ressent à un pareil degré. Avec de moindres ressources, il leur arrive d’éluder ou de résoudre nombre de problèmes dont les lourdes administrations de leurs puissants voisins ne peuvent venir à bout. Le progrès, chez eux, s’opère en détail, avec plus de modestie, mais plus de sûreté, et ils savent, à l’occasion, se montrer fiers et ne point reculer devant l’opportunité d’une initiative hardie. Ils ont l’esprit national à l’état de santé, non à l’état morbide. Les grandes puissances, au contraire, sont devenues la proie du nationalisme. Nous avons noté au passage les formes variées sous lesquelles il s’y manifeste. En Allemagne, c’est le culte inconscient du Jéhovah germanique, la croyance en une mission providentielle dévolue à la race. En Russie, ce sont les rêves, un peu vagues, mais grandioses, des slavophiles et des panslavistes. En Hongrie, c’est l’orgueil magyar avivé par une lutte interminable et par une victoire chèrement achetée. En Italie, c’est la mégalomanie que de dures expériences n’ont pas suffi à décourager. La nation la plus atteinte est encore la France. La vanité y revêt un caractère tout particulier. Nombre de Français, même des plus cultivés, croient à l’existence d’une sorte de franc-maçonnerie universelle dirigée contre leur pays et disposant de sommes énormes qu’elle emploierait naïvement à corrompre leurs compatriotes. Pareille démence est presque sans précédent dans l’histoire.

Cette poussée du nationalisme paraît d’autant plus extraordinaire que, loin d’avoir à se plaindre, toutes les grandes puissances ont grandi et prospéré depuis 50 ans. L’Allemagne et l’Italie ont atteint, avec une rapidité inespérée, le but de leurs efforts ; la Russie a recouvré ce qu’on lui avait pris en Orient, rétabli son prestige en Europe et réalisé, en Asie, d’énormes avances matérielles. La Hongrie n’a qu’à regarder en arrière pour mesurer ce qu’elle a gagné. La France, enfin, a non seulement trouvé sous la Répu-