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la tunisie et l’égypte.

raté » ! On rit de plus belle. Kairouan hérite du privilège qu’avaient eu les Kroumirs d’égayer Paris, et cette hilarité dure plusieurs jours. À l’extrême gauche et à droite, c’est un moyen qui n’est pas encore usé d’affaiblir le gouvernement. Le mot d’ordre est de ne pouvoir écouter sérieusement prononcer le nom de la Tunisie. On rit encore le 5 novembre quand M. Ferry a l’imprudence de dire : « Nous avons dompté l’insurrection à Sfax. » On rit quand il parle des victoires d’Ali-Bey, quand il annonce que l’armée tunisienne a combattu avec nous ; à chaque instant, si l’on se reporte au compte rendu de ces séances mémorables, ce ne sont que rires ; rires approbatifs, s’il s’agit d’une interruption ou d’une apostrophe de l’opposition ; rires et applaudissements ironiques, ricanements, s’il s’agit d’une assertion rassurante, émise par un ministre. Quand M. Amagat monte à la tribune, le 5 novembre, et prononce sur la question tunisienne son premier discours, les formules manquent pour exprimer le fou rire dont la Chambre est saisie. À chaque mot, le Journal officiel enregistre : « Rires et exclamations, bruit prolongé, bruit continu, bruit croissant, bruyante bilarité[1]. » Chaque jour, les généraux étaient injuriés et l’administration de la guerre traitée d’incapable et de vendue. MM. Clemenceau et Naquet appelaient l’expédition un « coup de bourse[2] ». « Ce que vous appelez un coup de bourse, ripostait Jules Ferry indi-

  1. La politique française en Tunisie, par le baron d’Estournelles de Constant.
  2. Dans l’Intransigeant, Rochefort montrait « notre colonie d’Algérie aux trois quarts perdue, tandis que nos soldats sèment leurs cadavres sur les routes ». Il flétrissait la « crétinisation ministérielle » et appelait le gouvernement « un cabinet d’histoire naturelle, une bande d’escrocs, d’imbéciles, d’imposteurs ».