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la nation armée.

formée à la fois par le sol et par le sang. Il ne sait pas la définir et lui obéit instinctivement. Il est encore trop près des invasions qui promenaient des masses d’hommes à travers les continents et leur ôtaient toute idée de fixité territoriale, toute notion d’un rapport quelconque entre l’homme et le lieu, d’une entente secrète entre la terre et l’âme. Au moyen âge, la France commence d’être quelque chose de précis, tout au moins dans le cœur de ses enfants. « Elle se jette sur la croisade », se chargeant « des actions de Dieu contre l’infidèle[1] ». Sur sa route, elle crée des royaumes et des principautés. Jérusalem, Chypre, Athènes, Constantinople ont pour un temps des souverains français ; des chevaliers vont fonder un État chrétien en Portugal ou chasser du sud de l’Italie les Sarrasins et les Grecs. L’expansion se fait au nom d’une France religieuse, féodale, chevaleresque. Mais des hommes, comme Étienne Marcel, sont là pour marquer que la véritable idée de patrie est encore confuse, que la culture de l’esprit, les qualités les plus éminentes ne suffisent pas à élever l’individu jusqu’à la conception de la collectivité à laquelle il appartient. C’est plutôt chez les humbles, chez les petits, que cette conception existe à l’état embryonnaire. Sans parler de Jeanne d’Arc, qui demeure incompréhensible par la nature de son inspiration plus même que par la réussite de sa tentative, Guillaume l’Aloue, ou bien encore Philippe Le Cat[2], Bochier et tous ceux qui, localement, participent à la délivrance nationale, n’ont-ils pas au fond d’eux-mêmes comme la sensation de cette patrie qui va naître ? Et, plus

  1. E. Lavisse, Vue générale de l’Histoire de l’Europe.
  2. Siméon Luce, La France pendant la guerre de Cent ans.