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n’en serait pas allégée. Notre temps a une forte inclinaison à s’abriter derrière les anonymats. Nous avons créé ainsi toute une mythologie où des forces anonymes — déesses discrètes et serviables — ont mission de couvrir nos défaillances individuelles. Mais cela rappelle l’enfant caché par une chaise dont le dossier ajouré laisse apercevoir son minois. Qui veut le voir, le voit. Ainsi en est-il de nos procédés naïfs. L’homme demeure responsable à travers la protection collective qu’il s’est érigée.

Venons en donc à la formule que j’indiquais tout à l’heure. Ne pouvant ni réformer la presse par l’ambiance des faits ni en assurer l’innocuité par la vaccination de l’individu, recourons au seul procédé efficace : demandons au journaliste de se réformer lui-même et aidons-le.

Comment l’aider ? Le premier appui dont il ait besoin et qui lui fait défaut presque partout c’est celui d’une législation protectrice de sa dignité. Et sa dignité sera protégée si la question de la diffamation et celle des incompatibilités se trouvent réglées de façon sage et franche. Dans beaucoup de pays, elles ne le sont ni l’une ni l’autre. Les frontières de la diffamation en matière de presse sont incommodes à fixer — comme l’est du reste dans la vie de chaque jour le passage de la médisance à la calomnie. On avait cru y pallier en établissant le « droit de réponse ». Quiconque sera attaqué par la plume se défendra de même : principe irréprochable mais bien vite annihilé par les difficultés d’application. D’abord la place manque. Comment s’en indigner ? Le lecteur attend aujourd’hui de sa gazette tant de renseignements et d’ordres si multiples qu’avec la meilleure volonté un directeur de journal ne saurait accepter d’insérer in-extenso toutes les rectifications généralement verbeuses et presque toujours fastidieuses dont il est saisi. Il se réserve donc d’en apprécier la valeur et l’opportunité. Mais voilà une restriction qui peut entraîner fort loin. Il est advenu bien souvent aussi que dans les conflits engagés entre le journal calomniateur et la victime, celle-ci n’a pas eu à se louer des apparentes satisfactions qu’on lui accordait et du bruit fait autour d’un incident à la base duquel subsistait quand même le souvenir amplifié de la calomnie initiale. Aussi a-t–on vu l’individu préférer se taire et laisser passer l’outrage. Mais quelle mauvaise leçon d’impunité n’est-ce pas là ?

Il s’en produit une autre lorsque l’incertitude règne quant à ceux qui doivent bénéficier du droit de réponse et que ce droit par-là, se trouve finalement escamoté. Le cas est très fréquent. C’est la conséquence de tous ces anonymes dont j’évoquais tout-à-l’heure la multiplication.