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ainsi que des connaissances nécessaires au journaliste, vous serez effrayé. Cela aussi incite à l’indulgence envers lui car il est trop évident que la pédagogie actuelle, loin de servir sa bonne volonté, la neutralise et qu’ainsi la société non contente de lui tendre des pièges dans l’exercice de son métier a commencé par se désintéresser de sa préparation à l’exercer.

Notre pédagogie souffre de deux maux dont l’un est un héritage du passé et l’autre une conséquence de l’état de choses présent. L’héritage, c’est le sédentarisme de la pensée, invitée à se concentrer sur ce qui est proche sans se préoccuper d’abord de ce qui est lointain. Or désormais il est impossible de séparer le proche du lointain. On ne peut plus dire : je ne m’occupe pas de ce qui arrive en Amérique ou en Chine parce que je n’y vis pas mais par contre je dois connaître en détail ce qui concerne mon pays, ma province, mon village. Pays, province, village sont devenus solidaires de suite de répercussions financières, économiques, voire politiques. Qui me renseignera sur ce qui s’y passe ?… le journaliste parbleu ! il n’y a que lui : Mais élevé de la même façon que moi, que sait-il de plus ? Sa science n’est guère différente de la mienne. Il va donc courir se documenter. cela ? dans le Larousse ; à moins, ce qui serait pire, qu’ayant vécu une demi-semaine dans le pays en question à l’occasion de quelque congrès, il ne s’imagine le connaître. Il suffit aujourd’hui d’avoir pénétré dans deux théâtres et trois restaurants ou d’avoir participé à quelques-unes de ces inaugurations officielles qui sont, en tous lieux, si étrangement similaires pour que germent de pareilles illusions ; et c’est pourquoi la compréhension internationale, loin de grandir, a diminué. Les contacts brefs et truqués sont impuissants à l’engendrer. Du temps que régnait l’ignorance, on se tenait pour averti de sa présence, et s’il le fallait, on allait aux informations mais en y mettant le temps et l’effort nécessaires. Maintenant que chacun se prétend informé, le temps et l’effort n’ont plus de raison d’être.

De la même façon destructive du vrai savoir opère le spécialisme. Jadis le spécialiste n’entrevoyait pas tout l’univers à travers sa lunette ; il se savait possesseur de connaissances particulières dont les limites d’horizon étaient proches ; au-delà de cet horizon, il en devinait d’autres étrangers à sa spécialité ; il les respectait. Le spécialiste d’aujourd’hui en a quasiment le mépris. Il ramène tout à lui. Sa position par rapport à la civilisation lui paraît prépondérante ; généralement il ne le dit pas mais il agit de façon à montrer que tel est bien le fond de sa pensée. Sa méthode, en tout cas, fait