Page:Counson - Malherbe et ses sources, 1904.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 144 —


C’était, comme on le voit, pousser un peu loin les conquêtes du jeune prince ; tous les poètes du temps, qui célèbrent « le grand dessein », sont du reste aussi hyperboliques, et la tradition se perpétue jusqu’à Boileau, qui s’en moque :

N’avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,
Comme lui, dans nos vers, pris Memphis et Byzance,
Sur les bords de l’Euphrate abattu le turban,
Et coupé, pour rimer, les cèdres du Liban[1] ?

Malherbe n’est pas moins embarrassé pour traduire la fameuse pensée de Catulle sur le soleil et la vie humaine, pensée si souvent reprise par les poètes italiens comme le Tasse, qui l’exprime plus d’une fois, et par les poètes français depuis Ronsard jusqu’à M. Eugène Rostand[2] :

Soles occidere et redire possunt :
Nobis, cum semel occidit brevis lux,
Nox est perpetua una dormienda[3].


Le Tasse écrivant en une langue plus rapprochée du latin, avait pu traduire très élégamment ces vers[4] ; il en

  1. Boileau, Épîtres, I. Cf. Grente, Jean Bertaut, p. 124, et suiv.
  2. Les poésies de Catulle, trad. en vers français par Eug. Rostand, 2 vol., 1891.
  3. Catulle, V, 4-6. Malherbe paraît avoir songé à cette image en écrivant l’épitaphe de son premier fils (I, p. 360 : « mes yeux qui n’avoient vu la lumière que deux ans trois mois et sept jours… demeurèrent enveloppés d’une obscurité qui seroit éternelle sans l’espérance du jour du jugement » ).
  4. Ahi, tramontare soli e tornar ponno ;
    Ma s’una breve luce a noi s’ascose,
    Dormiam di notte oscura eterno sonno.

    (Rime diverse, VIIe p.) Le Garini dit aussi (Pastor fido, IV, chœur) : Speriam : che’l sol cadente ancor rinasce.