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REVUE DES SCIENCES POLITIQUES.

colonies forment sans doute une zone extérieure de l’Empire et n’ont pas part égale à la dilection de tout patriote (quel Japonais n’est patriote ?) pour le sol sacré ; leurs indigènes peuvent être des sujets du Mikado, ils ne sauraient avoir avec la Maison Impériale la quasi-communauté d’origine mythique, ni même envers son chef le privilège du loyalisme immémorial ; jamais, au moins depuis les temps historiques, un empereur n’a quitté le sol du vieux Japon ; l’an dernier[1], à l’occasion du couronnement, il était question pour le nouveau Tenno d’aller visiter ses domaines de Corée, de Sakhalin et de Formose et cette initiative, en raison de sa gravité, était l’objet pour le ministère de la Cour d’un examen approfondi. On conçoit donc pourquoi les nouvelles conquêtes ne peuvent être dès à présent incorporées à l’Empire comme l’ont été Ézo et les Ryou-kyou, comment le souverain japonais ne saurait, sinon de loin, régner sur des continentaux. Toutefois les politiques, et ils sont nombreux, n’oublient ni l’importance du domaine extérieur ni le rôle que peuvent jouer les Japonais émigrés à l’étranger : les uns songent à de riches colonies, agricoles et commerçantes, à de « nouveaux Japons », sin Nihon, qui fleuriraient dans l’Amérique du sud, ou quelque part sur les rives du Pacifique ; d’autres, voyant leur pays placé entre 400 millions de Chinois, 160 millions de Russes et 100 millions de citoyens des États-Unis, préféreraient garder leurs compatriotes groupés au Japon, en Corée, en Mantchourie et pensent après quelques décades pouvoir en dénombrer 100 millions. Entre ces deux tendances, les futures relations extérieures jugeront. En même temps que le nouvel Empire prenait pied sur le continent, quadruplait sa façade sur le Pacifique et jetait au delà des milliers de ses sujets, il revendiquait sa place dans la société des États, d’abord contre la Chine qui, à Simonoséki (17 avril 1895), devait lui reconnaître chez elle les droits d’exterritorialité et les privilèges consulaires impatiemment subis par lui-même ; à peu près en même temps, sa diplomatie obtenait de l’Angleterre (18 juillet 1894), puis des autres Puissances la révision des traités du chôgounat : il se sentait enfin autonome et maître chez soi. L’alliance avec l’Angleterre (30 janvier 1902), la victoire sur la Russie l’ont élevé sans conteste au rang des Puissances domi-

  1. Japan Mail, 6 février 1915, p. 108.