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le théâtre en chine

doit les voir et non tels qu’ils sont, — ou bien ne pas les voir, s’ils sont censés absents. — Il ne faudrait pas remonter bien loin dans l’histoire du théâtre, en France ou en Angleterre, pour trouver des conventions analogues ; mais, si nos exigences modernes sur la mise en scène sont chose récente, je ne pense pas que le public européen, qui cherche dans le drame une image plus ou moins transformée de la vie, se soit, depuis bien des siècles, contenté d’aussi peu d’illusion que le public chinois.

Comme notre xviie et notre xviiie siècles ont vu sans surprise les héros et héroïnes de la Grèce ou de Rome affublés de perruques et de paniers, de même le Chinois trouve naturel qu’on lui montre les personnages de l’antiquité en costumes du temps des Ming, c’est-à-dire du xvie siècle : c’est l’uniforme pour tous les rôles historiques. Et dans les drames domestiques, parfois dans les pièces de genre représentant des épisodes de la vie quotidienne, si les vêtements sont ceux d’aujourd’hui, ils sont presque toujours invraisemblables par leur éclat : il n’est pas de batelière qui ne paraisse fardée et vêtue de soie de couleurs tendres. Les casques et cuirasses dorés, les longues plumes qui s’agitent sur la tête des guerriers, les franges de perles sur le front des femmes, les visages de certains acteurs peints et grimés de manière fantastique, les vêtements brillants et étranges, la gesticulation tantôt lente, tantôt précipitée, jamais naturelle, le débit sur un ton très élevé ou très grave avec des airs chantés en fausset aigu, la musique qui fait rage incessamment, tout cet appareil de convention a un aspect étrange et fantastique : l’Européen n’y peut voir qu’une transposition de sentiments humains dans une clef inconnue, son œil est flatté du chatoiement des couleurs, tandis que les grondements et les grincements de l’orchestre l’assourdissent et lui déchirent les oreilles. Quant au gros public chinois, il aime le tapage du tam-tam et admire sur la scène les vêtements splendides qu’il ne voit pas dans la vie quotidienne ; quand il s’est bien amusé, il dit qu’il y a eu « beaucoup de bruit ». Mais l’essence du plaisir dramatique lui échappe.