Page:Cournot - Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes, tome 1, 1872.djvu/12

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naissance de l’économie générale du monde doit primer celle de l’économie de nos sociétés, pourquoi ne pas tenir compte, dans le tableau des progrès de la connaissance humaine, de l’ordre qui subsiste effectivement entre les objets de nos connaissances ? Serait-ce pour se régler sur l’utilité pratique ? Mais à ce compte il faudrait donc, dans une revue historique des progrès de l’esprit humain, faire passer la médecine avant l’astronomie et la physique, car les progrès de la médecine nous intéressent plus sensiblement que la connaissance des mouvements des corps célestes ou des lois de la physique. C’est pourtant là ce qu’on ne s’est jamais avisé de faire dans les revues dont nous parlons ; et pareillement, de ce que les dogmes religieux et les institutions politiques ont en pratique bien plus d’importance directe pour les individus et les peuples, que les sciences et la philosophie n’en peuvent avoir, ce n’est pas, dans l’ordre de la pure spéculation un motif suffisant de leur donner le pas sur, la science et la philosophie.

L’histoire même se charge de manifester à la longue la subordination théorique du particulier au général. Nous ne sommes pas encore à une très-grande distance du dix-septième siècle ; et déjà Galilée, Descartes, Pascal, Newton, Leibnitz intéressent la grande famille humaine bien plus que toutes les querelles religieuses ou politiques du même temps. Deux nations seulement, l’Angleterre et la France, pourraient encore hésiter à souscrire à cette décision du sens commun des nations, en songeant, celle-là à sa révolution politique, si féconde en grandes conséquences, celle-ci à l’éclat qui a rejailli et qui, après tant de calamités, rejaillit encore sur elle de la splendeur du grand règne. Mais, plus on avance, plus la trace lumineuse du grand siècle semble appartenir à un autre monde que le nôtre, plus l’établissement politi-