Page:Cournot - Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes, tome 1, 1872.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que de l’Angleterre perd de son originalité, alors que Galilée, Descartes, Pascal, Newton, Leibnitz ne font que grandir dans l’histoire de l’esprit humain. Dès à présent donc, l’on conçoit que, dans un tableau d’ensemble, ces savants, ces philosophes aient sur les guerriers, les politiques, les controversistes, les orateurs de la chaire et de la tribune, une prééminence que le monde de leur temps était bien loin de leur attribuer. Et si nous sommes conduits à adopter un tel ordre quand il s’agit du dix-septième siècle, l’analogie ne veut-elle pas que nous nous y conformions pour des siècles tout voisins ? Quoi qu’il en soit, c’est l’ordre que nous avons eu en vue ; c’est pour le faire ressortir, au risque d’encourir le reproche de bizarrerie, que nous avons pris la plume ; et il convenait d’en avertir le lecteur que cet ordre pourrait choquer, au point de le dispenser de la peine d’instruire plus à fond le procès de l’auteur.

Ces premières réflexions, aussi bien que le titre de notre livre, annoncent assez qu’il appartient, non au genre de la composition historique, mais à ce que l’on est convenu d’appeler « la philosophie de l’histoire. » Or, cela nous oblige, pour ne pas affronter trop de préventions à la fois, de dire en quoi notre philosophie de l’histoire diffère essentiellement de celle de beaucoup d’autres, qui ont eu la prétention de découvrir des lois dans l’histoire. Qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas des lois dans l’histoire, il suffit qu’il y ait des faits, et que ces faits soient, tantôt subordonnés les uns aux autres, tantôt indépendants les uns des autres, pour qu’il y ait lieu à une critique dont le but est de démêler, ici la subordination, là l’indépendance. Et comme cette critique ne peut pas prétendre à des démonstrations irrésistibles, de la nature de celles qui donnent la certitude scientifique, mais que son rôle se borne à faire valoir des analogies, des inductions, du genre de