Page:Cournot - Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes, tome 1, 1872.djvu/14

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celles dont il faut que la philosophie se contente (sans quoi ce serait une science, comme tant de gens l’ont rêvé, mais toujours vainement, et ce ne serait plus la philosophie), il s’ensuit que l’on est parfaitement en droit de donner à la critique dont il s’agit, si attrayante malgré ses incertitudes, le nom de « philosophie de l’histoire. » Il en est à cet égard de l’histoire des peuples comme de l’histoire de la Nature, qu’il ne faut pas confondre avec la science de la Nature, parce qu’elles ont principalement pour objet, l’une des lois, l’autre des faits, mais des faits qui peuvent acquérir une si grande proportion, avoir des conséquences, si vastes et si durables, qu’ils nous paraissent avoir et qu’ils ont effectivement la même importance que des lois. La raison n’en conçoit pas moins la différence radicale des lois et des faits : les unes valables en tout temps, en tout lieu, par une nécessité qui tient à l’essence permanente des choses ; les autres amenés par un concours de faits antérieurs, et déterminant à leur tour les faits qui doivent suivre. Il y a dans l’histoire d’un peuple, comme dans la biographie du plus humble individu, indépendamment de ce qui tient à leurs dispositions natives et aux lois constantes de la Nature, des faits, des accidents qui influent sur tout le cours de leurs destinées. La critique philosophique n’a nuls motifs de s’occuper de pareils faits, de pareils accidents, à propos d’un homme ordinaire : elle s’y applique avec grande raison quand il s’agit de la vie d’un peuple, et surtout d’un peuple dont la vie a influé sur les destinées de l’humanité tout entière. On peut donc se méfier beaucoup des lois, des formules en histoire, qui ont occupé et souvent égaré tant d’esprits, sans que cela doive, à notre sens, nuire à ce qui constitue effectivement la philosophie de l’histoire.

Impossible de s’adonner au genre de critique dont nous par-