Page:Cournot - Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes, tome 1, 1872.djvu/15

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lons, sans être à chaque instant conduit à se demander comment les choses auraient vraisemblablement tourné, sans l’accident ou l’incident qui a imprimé un autre cours aux événements. L’historien s’abstient tant qu’il peut de poursuivre de pareilles hypothèses, de même qu’il s’abstient de prédictions pour l’avenir, et il a bien raison, car tel n’est point le but de l’histoire proprement dite. C’est déjà pour lui une assez grande tâche que d’être partout véridique et clair, en joignant quand il le faut au-talent de raconter celui d’émouvoir. Mais, pour un genre de critique qui ne peut reposer que sur des inductions, l’hypothèse n’est vaine que là où l’induction fait défaut ; et tant que l’induction soutient suffisamment l’hypothèse, celle-ci, qui n’est qu’un moyen de mettre l’induction dans son jour, se trouve suffisamment justifiée. C’est assez dire que la difficulté et le mérite de la critique se trouvent dans la juste et sobre mesure de l’induction et de l’hypothèse.

Pour l’histoire des temps modernes à laquelle s’applique notre essai de critique, nous n’avons ici qu’une remarque à faire. Chaque siècle de l’histoire moderne étant l’objet d’un tableau ou d’un livre à part, que faire de la Révolution française ? Appartiendra-t-elle au dix-huitième ou au dix-neuvième siècle ? Se partagera-t-elle ou s’intercalera-t-elle entre les deux ? Nous n’avons pris ni l’un de ces partis, ni l’autre, et nous avons affecté à la Révolution française un sixième et dernier livre, après le dix-huitième et après le dix-neuvième siècle. C’est-à-dire qu’en tâchant de faire sur une grande échelle l’application des principes indiqués ci-dessus, nous avons préféré l’ordre qui nous semblait le plus propre à démêler autant que possible, dans les faits qui attirent depuis plus de trois quarts de siècle l’attention du monde, ce qui tient à des causes générales dont l’action se serait