Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/197

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à leurs volumes, dépendraient ou non de leurs figures, ou d’autres qualités dont nous n’avons nulle idée.

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Si nous sommes dans une ignorance invincible sur ce qui fait l’essence de la matière tangible et pondérable, à plus forte raison ne saurions-nous avoir aucune connaissance réelle de la nature de ce principe ou de ces principes intangibles, incoërcibles et impondérables auxquels nous rapportons les merveilleux phénomènes de lumière, d’électricité, de chaleur, où l’on doit voir, non de simples accidents des corps pondérables, mais bien, selon toute vraisemblance, les manifestations d’une chose qui pourrait subsister encore, même après l’anéantissement des corps pondérables. Il est dans les lois de notre esprit d’avoir recours, pour les uns comme pour les autres, aux mêmes images. Ainsi, lorsqu’un physicien entreprend d’exposer les lois de la distribution de l’électricité à la surface d’un corps conducteur, ou les lois de la distribution du magnétisme dans un barreau aimanté, il lui est commode d’imaginer un fluide ou plusieurs fluides qui se répandent en couches d’épaisseur ou de densité variables ; mais il sait bien que ces fluides n’ont qu’une existence hypothétique ; qu’au fond nous n’en avons nulle idée et qu’ils ne sont un objet de connaissance réelle, ni pour le vulgaire, ni pour les savants ; qu’ils ne figurent dans la théorie qu’en manière d’échafaudages ou de constructions auxiliaires, pour nous aider à concevoir et à formuler les lois qui régissent des phénomènes dont la cause réelle nous échappe absolument. D’ailleurs, et nonobstant cette identité d’images, tout indique un contraste profond entre les propriétés de la matière pondérable et celles des principes impondérables. Non-seulement ces principes échappent à la balance, comme leur nom l’indique, mais ils semblent ne participer en rien à l’inertie de la matière, puisqu’ils n’offrent au mouvement des corps pondérables aucune résistance appréciable, et que leur accumulation ou leur dispersion ne donne lieu à aucun accroissement observable, ni à aucun déchet dans la masse. Tandis que la masse d’un corps pondérable est quelque chose d’essentiellement défini et limité, et en même temps quelque chose d’absolument indestructible, il semble qu’on puisse indéfiniment tirer d’un corps de l’électricité ou en ajouter, pourvu qu’on en tire en même temps ou qu’on ajoute pareille dose d’électricité