Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/475

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DE L’HISTOIRE ET DE LA SCIENCE. 463 l’historien rende compte de l’influence mutuelle, de la péné- tration réciproque de ces diverses séries d’événements qui ont chacune leurs principes, leurs fins, leurs lois de développement et pour ainsi dire leur compte ouvert au livre des destinées. Il faut qu’il démêle, dans la trame si complexe des événements historiques, tous ces fils qui sont sujets à tant d’entre-croise- ments et de flexuosités. 315. — Mais cela même n’indique-t-il pas en quoi l’histoire traitée de la sorte diffère essentiellement d’une théorie scienti- fique ? Supposons (pour poursuivre la comparaison indiquée tout à l’heure) qu’on demande de marquer par un trait, sur une carte géographique, la direction d’un grand cours d’eau ou d’une chaîne de montagnes, et qu’on veuille parler de cette direction générale qui domine les irrégularités, les flexuosités locales et accidentelles. Il y a, disons-nous, une grande analo- gie entre ce problème et ceux que se propose l’historien philo- sophe. En effet, tout le monde sait que pour avoir une juste idée du relief d’un pays de montagnes, il faut l’étudier d’un point de vue d’où s’effacent les irrégularités sans nombre, les contournements bizarres que des accidents locaux ont accu- mulés, de manière à ne présenter d’abord aux yeux du voya- geur étonné qu’un inextricable dédale ; tandis que, d’une station plus élevée ou plus distante, d’où l’on peut embrasser à la fois un plus grand nombre d’objets, on voit se dessiner ces grands alignements, témoins irrécusables d’un principe dominant de régularité, et d’un ordre dans le désordre. Si ces lignes de sou- lèvement (comme on les appelle maintenant) viennent à se rencontrer, il faut s’attendre, d’une part à un surcroît d’em- brouillement et de désordre de détails vers les points où la rencontre s’opère ; d’autre part et dans l’ensemble, à un sur- croît d’exhaussement, résultant des concours de deux systèmes de causes, dont les effets moyens et généraux ont eu en cela une tendance commune. Bien décrire un pays de montagnes, ce sera donc marquer aussi nettement et surtout aussi juste- ment que possible les grands traits auxquels se subordonnent toutes les irrégularités de détail. Il ne faut pas que ces irrégu- larités fassent illusion, et que, par exemple, on méconnaisse la juste place du point culminant d’un soulèvement, parce que, dans telle autre partie de la chaîne où sa hauteur moyenne a visiblement diminué, des accidents locaux auront redressé