Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/72

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erreurs dont les observations mêmes étaient nécessairement affectées, qu’en raison des forces perturbatrices qui altèrent sensiblement le mouvement elliptique. Une courbe ovale, qui diffère peu d’un cercle, différera encore moins d’une ellipse choisie convenablement ; mais, pour regarder le mouvement elliptique comme une loi de la nature, il fallait partir de l’idée que la nature suit de préférence des lois simples, comme celles qui nous guident dans nos spéculations abstraites ; il fallait trouver dans la contemplation des rapports mathématiques des motifs de préférer, comme plus simple, l’hypothèse du mouvement elliptique à celle des mouvements circulaires combinés. Or, de tout cela, il ne pouvait résulter que des inductions philosophiques plus ou moins probables, et dont la probabilité n’était nullement assignable en nombres, jusqu’à ce que la théorie newtonienne, en donnant à la fois la raison du mouvement elliptique et des perturbations qui l’altèrent, eût mis hors de toute contestation sérieuse la découverte de Kepler et ses droits à une gloire impérissable.

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En général, une théorie scientifique quelconque, imaginée pour relier un certain nombre de faits trouvés par l’observation, peut être assimilée à la courbe que l’on trace d’après une définition mathématique, en s’imposant la condition de la faire passer par un certain nombre de points donnés d’avance. Le jugement que la raison porte sur la valeur intrinsèque de cette théorie est un jugement probable, dont la probabilité tient d’une part à la simplicité de la formule théorique, d’autre part au nombre des faits ou des groupes de faits qu’elle relie, le même groupe devant comprendre tous les faits qui sont une suite les uns des autres, ou qui s’expliquent déjà les uns par les autres, indépendamment de l’hypothèse théorique. S’il faut compliquer la formule à mesure que de nouveaux faits se révèlent à l’observation, elle devient de moins en moins probable en tant que loi de la nature, ou en tant que l’esprit y attacherait une valeur objective : ce n’est bientôt plus qu’un échafaudage artificiel, qui croule enfin lorsque, par un surcroît de complication, elle perd même l’utilité d’un système artificiel, celle d’aider le travail de la pensée et de diriger les recherches. Si au contraire les faits acquis à l’observation postérieurement à la construction de l’hypothèse sont