Page:Courteline - Ah Jeunesse!, 1904.djvu/41

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Mais un cauchemar, surtout, persécutait mon sommeil, le hantait presque sans répit avec l’obstination d’une brute qui a inventé une bonne, scie et vous en larde comme une escalope, tout vif : la pluie… — vous connaissez ça, — la pluie des pièces de dix sous qu’a semées par les trottoirs des rues une prodigalité folle ou une étourderie sans nom. C’en était une, d’abord, puis deux ; et puis cinq, et puis dix, et puis vingt, et puis cent ! Ravi plutôt qu’étonné, surpris seulement qu’autour de moi les passants demeurassent aveugles à cette manne bienfaisante visible pour moi seul, je recueillais les pièces de monnaie à pleines mains et je voulais les mettre en ma bourse, mais celle-ci débordait déjà de louis qui y étaient venus tout seuls, par l’intervention du Saint-Esprit. Alors j’emplissais mes poches, qui regorgeaient bientôt à leur tour. En sorte que. tremblant de joie, je commençais à me dire ! « C’est assez ; j’ai maintenant plus qu’il ne me faut », quand insensiblement, par lentes gradations, la vision s’obscurcissait. Des inquiétudes s’emparaient de moi, la crainte d’être la dupe d’une hallucination mensongère… C’était la vie, un instant sortie, qui rentrait tranquillement chez elle, et, à travers une dernière brume de rêve, me jetait comme