Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/247

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belle fille, tu me réponds : « Il ne faut pas te gêner ! » Elle est bien bonne ! Comme s’il ne me suffisait pas qu’elle soit la femme d’un camarade pour que je n’aie jamais pensé à voir en elle autre chose qu’une camarade !

— Mon cher, fit alors Laurianne, je te connais depuis assez longtemps, n’est-ce pas, pour savoir à qui j’ai affaire ; ce n’est donc pas de ça qu’il s’agit. Je n’en suis pas moins pour ce que je te disais : ne te gêne pas si le cœur t’en dit. D’abord, Angèle, en voilà assez comme ça ; six mois de liaison, merci bien ! je n’ai pas beaucoup l’habitude de m’éterniser dans le collage ; et puis enfin si tu as peur de me fâcher, mon vieux, tu peux être tranquille : celle-là qui me fera brouiller avec un ami de dix ans n’est pas encore près d’être fondue.

Je répondis à Laurianne qu’il me faisait suer avec ses bravades, qu’il avait été découpé sur le même patron que les autres et que si je lui jouais le tour de le prendre au mot, il me le reprocherait toute sa vie, en quoi, du reste, il n’aurait pas tout à fait tort. Mais là-dessus il s’emballa, monta comme une soupe au lait et se mit à jeter les hauts cris en me demandant si je le prenais pour un idiot.

— Je ne te prends pas pour un idiot, lui expliquai-je ; je te dis ce que je sais très bien et toi aussi, c’est que tu parles depuis une heure pour le plaisir de parler. La femme d’un ami est une chose sacrée : on la regarde, mais on n’y touche pas ; c’est une question de délicatesse élémentaire et un principe dont tu ne sortiras pas.

— Ça dépend des manières de voir, fit Laurianne d’un air dégagé.

— Eh ! dis-je, que viens-tu me chanter là ! Il n’y a pas là-dessus trente-six manières de voir ; la femme d’un ami est