Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/41

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— Moi un mauvais cœur ?

— Je le crois.

Ils se regardèrent dans les yeux, et tout à coup Marthe jeta un cri l’ayant vu qui fondait sur elle.

— Mon Dieu !…

Les mains de Robert Cozal venaient de s’abattre sur ses épaules, d’un choc tel qu’il la renversa. Ses genoux plièrent ; elle tomba toute assise en les mollesses d’un sopha qui se trouvait là fort à propos pour la recevoir, et elle y demeura sans voix, ahurie de se sentir vivante, muette de la peur qu’elle avait eue, et trempée des larmes du jeune homme qui lui pleurait dessus comme un veau sanglotant :

— Tu as raison. Je suis le plus méprisable des hommes.


Ce jeune premier, à vrai dire, manquait parfois de suite dans les idées. Il voyait volontiers la vie comme en un de ces stéréoscopes automatiques, où, sous l’action d’un mouvement d’horlogerie ingénieusement combiné, se déroulent des vues diverses : Venise la Rouge, la Mer de glace, l’Heureuse famille d’après Greuze, et le portrait de Léopold, qui régna sur le peuple belge. En sorte qu’à la même minute où, les yeux à l’appareil, il regardait avec horreur une Marthe perfide et traîtresse en train de se gorger d’impostures, la mécanique avait joué, abattant sur la première Marthe une Marthe deuxième manière, qui ressemblait à sa devancière à peu près comme le roi des Belges ressemblait à la Mer de glace ; une Marthe aux puretés immaculées, aux patiences inaltérables, aux doux sourires de grande sœur ; enfin une façon de sainte Marthe, à laquelle manquait seulement une auréole derrière la tête pour être une sainte très dans le train. Bien entendu, son cœur