Page:Couturat - Le principes des mathématiques, La Philosophie des mathématiques de Kant (1905) reprint 1980.djvu/246

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la méthode de la philosophie. La mathématique seule a des axiomes, c’est-à-dire des principes synthétiques a priori, « parce qu’elle seule peut, en construisant un concept, lier a priori et immédiatement ses prédicats dans l’intuition de son objet » (B. 760)[1]. La philosophie ne peut pas avoir d’axiomes, car elle ne peut pas sortir du concept pour le lier à un autre concept. La mathématique seule a des définitions, car seule elle crée ses concepts par une synthèse arbitraire ; par suite, ses définitions sont indiscutables et ne peuvent être erronées. Au contraire, on ne peut pas à proprement parler définir, soit les objets empiriques, soit les concepts a priori, on ne peut que les décrire, et cette description est toujours discutable, car on ne sait jamais si l’on a épuisé la compréhension d’un concept préalablement donné[2]. Enfin la mathématique seule a des démonstrations proprement dites, car « on ne peut appeler démonstration qu’une preuve apodictique, en tant qu’elle est intuitive » (B. 762). La philosophie ne peut pas effectuer des démonstrations sur ses concepts, car il lui manque « la certitude intuitive ». La conclusion de cet examen est la séparation complète, l’opposition absolue de la mathématique, non seulement par rapport à la métaphysique, mais par rapport à la philosophie tout entière, et notamment à la logique. Car la logique repose sur des principes analytiques, qui paraissent se réduire au principe de contradiction ; et elle ne permet d’établir que des jugements analytiques. Si la mathématique peut légitimement énoncer des jugements synthétiques a priori, c’est parce qu’« elle ne s’occupe d’objets et de connaissances que dans la mesure où ceux-ci se laissent représenter dans l’intuition » (B. 8). Il est manifeste, d’ailleurs, que si Kant insiste tellement sur la différence des méthodes de la mathématique et de la métaphysique, c’est par réaction contre le rationalisme de Wolff, qui prétendait, comme Leibniz, appliquer à la philosophie la méthode mathématique, comme étant la seule méthode logique et apodictique.

  1. Exemple : Trois points sont toujours situés dans un même plan.
  2. Cf. Logique, § 103.