Page:Couturat - Le principes des mathématiques, La Philosophie des mathématiques de Kant (1905) reprint 1980.djvu/285

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chose que des signes visibles ou audibles, qui « construisent » nos idées dans l’espace et dans les temps ?

Sans doute, Kant distingue les mots des signes algébriques, en disant qu’en philosophie on ne raisonne pas sur les mots, tandis qu’en Algèbre on raisonne sur les signes et on laisse de côté les objets signifiés jusqu’à la fin du raisonnement. Mais il y a ici une confusion d’idées. Il n’est pas vrai qu’en Algèbre on raisonne sur les signes ; on raisonne toujours sur les idées qu’ils représentent ; et si l’on peut opérer mécaniquement avec eux, c’est à la condition d’avoir justifié une fois pour toutes les règles formelles des opérations, ce qui ne peut se faire qu’en considérant le sens réel de ces opérations et des signes eux-mêmes. Il est vrai qu’en un sens on fait abstraction de la nature des objets, mais c’est parce qu’elle est réellement indifférente et étrangère au raisonnement. En Algèbre, on ne s’inquiète pas de savoir si les lettres représentent des nombres entiers ou fractionnaires, de même qu’en Arithmétique (pure, non appliquée) on ne s’inquiète pas de savoir si un nombre représente une collection, ou une longueur, ou un poids, et de même qu’en Géométrie on ne s’inquiète pas de savoir si un solide est en bois ou en métal ; ce sont là des abstractions essentielles à chacune de ces sciences, par lesquelles on dépouille les notions qui en sont l’objet spécial de toute immixtion d’éléments étrangers. Mais il n’en résulte pas qu’en Algèbre on fasse abstraction même du nombre général ou de la grandeur, qui en est l’objet propre, et qui est le contenu même des formules algébriques. Lors donc que dans un problème d’Algèbre on fait abstraction de la nature particulière des grandeurs que l’on traite, ce n’est pas pour vider les symboles et les formules de tout contenu, mais pour les réduire à leur contenu essentiel, qui est l’idée de grandeur en général.

Enfin Kant attribue au « calcul littéral » (comme il appelle assez improprement l’Algèbre) une vertu d’infaillibilité toute spéciale, qui serait due à ce qu’on y raisonne uniquement [277]