Page:Couturat - Le principes des mathématiques, La Philosophie des mathématiques de Kant (1905) reprint 1980.djvu/304

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changer le signe + en signe - sur un des axes). Ainsi l’antitaxie peut se définir par la simple distinction des deux sens d’un segment, et peut se réduire à l’opposition primordiale des segments positifs et négatifs sur une droite. Que cette opposition n’ait rien d’intuitif ni de propre à l’espace, c’est ce que n’aurait pu nier l’auteur de l’Essai d’introduction du concept des grandeurs négatives dans la philosophie (1763), puisqu’il prétendait ramener toutes les oppositions réelles, même psychologiques (plaisir et douleur) et morales (mérite et démérite) à l’opposition des grandeurs positives et négatives. Si donc le paradoxe de Kant prouve quelque chose, c’est que l’espace est le substratum de relations d’ordre, et que par suite il n’est pas une grandeur pure, mais aussi et surtout un ordre, ce qui est au fond la thèse même de Leibniz que Kant croyait réfuter. Cette question doit être soigneusement distinguée de celle-ci, qui parait lui avoir donné naissance : « Pourquoi le monde réel a-t-il telle orientation plutôt que l’orientation opposée ? Pourquoi, par exemple, les planètes tournent-elles de droite à gauche autour du soleil ? » A une telle question il n’y a pas de réponse, parce qu’elle n’a pas de sens ; et elle n’a pas de sens précisément parce que l’espace n’est pas absolu, et ne comporte pas de différences qualitatives et intuitives. Si l’espace était absolu, il devrait y avoir une raison pour que les planètes tournent de droite à gauche plutôt que de gauche à droite ; mais s’il n’y a pas de raison à ce fait (et il n’y en a évidemment pas), c’est que l’espace n’est pas absolu. Du reste, les deux sens sont indifférents et indiscernables, car si les planètes tournent de droite à gauche pour un observateur placé dans le [296]