Page:Couturat - Le principes des mathématiques, La Philosophie des mathématiques de Kant (1905) reprint 1980.djvu/314

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les formes possibles de déduction. Mais ces anticipations géniales étaient encore inconnues ou méconnues, et passaient alors pour des rêves d’utopiste. Au temps de Kant, les principes de l’Analyse étaient encore obscurs, le Calcul infinitésimal n’avait pas encore été logiquement construit et purgé de la notion mystérieuse d’infiniment petit (que certains Kantiens ont si étrangement interprétée) ; Gauss ne savait pas encore si l’on devait admettre les « quantités » imaginaires, qui sont devenues la base indispensable de l’Analyse, et c’est en 1806 seulement qu’Argand en trouvait la première interprétation satisfaisante. Pendant longtemps encore, on s’est demandé si ces entités bizarres et paradoxales (contradictoires même pour quelques-uns) étaient des « nombres » ou des « grandeurs ». Ce n’est que peu à peu, à la suite de l’invention du calcul barycentrique de Möbius, du calcul des équipollences de Bellavitis, du calcul géométrique de Grassmann, des quaternions de Hamilton, de la Géométrie projective de Staudt, de la théorie des ensembles, de la théorie des substitutions et des groupes, enfin du calcul logique de Boole, qu’on est parvenu à concevoir que la mathématique n’est pas liée à une nature particulière d’objets, mais est une méthode générale de démonstration et d’invention. C’est précisément Boole qui a le premier « réalisé » cette idée, et l’a formulée dans cette phrase lapidaire : « Il n’est pas de l’essence des mathématiques de s’occuper des idées de nombre et de quantité. » Aussi l’on a pu dire, sans trop de paradoxe, que la mathématique pure a été découverte par Boole. Et puisque nous célébrons des anniversaires, il nous sera permis de remarquer que le centenaire de la mort de Kant est le cinquantenaire de la mathématique pure ; ce qui excuse suffisamment Kant de n’avoir pas connu celle-ci.

En somme, toutes nos critiques reviennent simplement à constater ce fait notoire, que depuis un siècle la Mathématique [306]