Page:Couturat - Le principes des mathématiques, La Philosophie des mathématiques de Kant (1905) reprint 1980.djvu/316

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compartiments et de cloisons étanches dans l’esprit, il n’y a pas entre les sciences d’hiatus ou de sauts qui bornent la juridiction d’une Logique et justifient l’introduction d’une autre Logique. Il n’y a qu’une Logique, la Logique de la déduction, dont les méthodes dites inductives ne sont qu’une application, parce qu’il n’y a qu’une seule manière d’enchaîner les vérités d’une manière formelle et nécessaire. Seulement cette Logique n’est plus la pauvre, mesquine et stérile Logique scolastique ; elle est coextensive aux Mathématiques, et susceptible, comme elles, d’un développement indéfini.

Loin donc de reprocher à Kant d’avoir été trop mathématicien et trop logicien, nous lui reprocherions au contraire de ne pas l’avoir été assez, en un mot, de n’avoir pas été assez rationaliste. En général, il est imprudent et téméraire de prétendre limiter le domaine et la compétence de la pensée, et de lui dire : « Tu n’iras pas plus loin. » Tous les philosophes qui ont essayé ainsi de tracer des frontières à la science ou des démarcations entre les sciences ont été tôt ou tard réfutés par les progrès incessants de nos connaissances. C’est en ce sens que la maxime tant discutée de Leibniz est profondément juste : les systèmes sont vrais par ce qu’ils affirment, et faux par ce qu’ils nient. Kant a trop cherché à distinguer et à délimiter les facultés de l’esprit, à les parquer dans des cases bien étiquetées ; son système, d’une symétrie artificielle et voulue, donne l’impression étouffante d’une construction finie et close de toutes parts : il ressemble au système du monde des anciens, avec ses cieux de cristal superposés ; il ne laisse pas de place à l’extension irrésistible des sciences, c’est-à-dire à l’avenir et au progrès. Enfin Kant a manqué de confiance dans le pouvoir et la fécondité de l’esprit humain. Il a été trop préoccupé de circonscrire minutieusement le champ de la pensée, de subordonner la raison spéculative à la raison pratique, de borner et même de « supprimer le savoir pour faire place à la foi » (B. XXX). Mais la raison a pris sa revanche, en brisant les [308]