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Page:Création, octobre 2019, 4.djvu/7

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ment en tirer une conséquence : cette révolte n’est politique que par ricochet. Compte tenu de ce que les Français pourraient reprocher à leur classe politique, le motif premier de la révolte parait bien dérisoire, même si certaines revendications, formulées après coup, tendraient à rassurer sur la capacité de certains Français à penser politiquement. En somme, une partie des Français s’est réveillée parce qu’elle n’en pouvait plus matériellement, et non suite à un sursaut de la conscience et c’est un point capital à avoir en tête pour ne pas fantasmer comme beaucoup l’ont fait en y voyant une nouvelle chouannerie ou une insurrection annonçant le Grand soir, quand il s’agirait plutôt d’un revival des révoltes fiscales d’Ancien Régime (qui n’ont jamais abouti à un quelconque changement politique de fond). Le populisme est le stade sénile de la démocratie Aussi, cette mobilisation présentait une faiblesse qui fut aussi sa force dans les premières semaines : l’horizontalité. D’abord puissante et redoutable parce qu’insaisissable, elle se révéla incapable de rien obtenir car perpétuellement divisée contre elle-même. Le moindre porte-parole était immédiatement intimidé, exclu, désavoué. A l’exception de quelques figures qui ont pu dialoguer à certaines occasions précises avec le pouvoir, le mouvement n’avait, en définitive, aucune direction, aucune ligne, aucun programme, hormis crier « nous existons » à la face du monde. Dans le même temps, cette horizontalité a laissé la porte ouverte à des tentatives d’infiltration/récupération par des structures politiques constituées, officielles ou marginales, d’extrême gauche ou d’extrême droite. Ce qui n’allait pas sans poser plusieurs problèmes : d’une part, la récupération –globalement infructueuse- par des politiciens installés allait à l’encontre même des motivations « dégagistes » du mouvement ; d’autre part, la cohabitation entre groupes radicaux opposés ne pouvait être imaginable sur le long terme, et les bourrins des deux camps n’ont pas attendu longtemps avant de faire des manifestations le théâtre de leurs guerres picrocholines devant des gilets jaunes médusés, à des années lumières des « enjeux » de ces conflits ; ces manifestations faisaient, en outre, cohabiter deux électorats « populistes » irréconciliables en l’état actuel des choses : celui du RN et celui de la FI, qu’une diabolisation commune ne suffit pas -encore- à réconcilier ; enfin, comme à chaque mobilisation contestataire spontanée, une cohorte de marginaux farfelus issus des méandres de la dissidence numérique s’est agrégée à la masse des manifestants, ne manquant pas de se faire remarquer par des saillies plus ou moins délirantes ou des gestes facilement exploitable par les médias pour décrédibiliser le mouvement. L’une des conséquences de cette cacophonie est une absence totale de crédibilité vis-à-vis du reste de la population, certes majoritairement favorable jusqu’aux mois de mars-avril, mais pour des raisons émotionnels (« on comprend », « nous nous y retrouvons » etc…). Cette absence de crédibilité donnera systématiquement l’avantage au pouvoir, qui, s’il souffre lui-même d’un déficit de confiance et de crédibilité (l’affaire Benalla est une preuve supplémentaire qu’il n’y a, au mieux, qu’un demi-pilote dans l’avion), offre toujours des interlocuteurs identifiés et une direction claire, aussi funeste soit elle. Dès le mois de mars 2019, la mobilisation connaissait une baisse constante, et ne semblait pas devoir remonter (56% des français souhaitant que la mobilisation cesse). De plus, fait exceptionnel, la cote de popularité de Macron et de son premier ministre a légèrement augmenté quand bien même aucun changement d’orientation majeur n’ait été annoncé, bien au contraire… Seule parenthèse dans le reflux du mouvement : les manifestations du 1er mai, mais dans ce cas précis, les chiffres ne sont pas dus à la seule dynamique propre aux gilets jaunes. L’extrême-gauche a-t-elle bénéficié du mouvement ? Il est intéressant de faire un point plus précis sur la réaction de la « gauche » au mouvement des Gilets Jaunes. La gauche a tardé à rentrer dans la danse à cause du profil et de la sociologie des bloqueurs de ronds-points, tant la gauche Terra Nova (les sociaux-démocrates de ce qui reste du PS et de ses satellites) qui a abandonné la classe moyenne et le prolétariat blanc au profit d’une nouvelle clientèle électorale immigrée promise à un bel avenir, que celle allant de la France Insoumise aux groupuscules anarchistes, peu encline à soutenir ce qu’elle a d’abord vu comme une manifestation petite bourgeoise ou frontiste (ou poujadiste pour les plus cultivés d’entre eux), trop « France profonde » pour elle. Passées des premières semaines hésitantes, une partie