Aller au contenu

Page:Création, octobre 2019, 4.djvu/8

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de la gauche s’est lancée à l’assaut du mouvement par le haut (œillades Insoumises des cadres de la FI) et le bas (intervention des black blocks dans les manifestations, avec casse, affrontement des forces de l’ordre et des groupes de droite), avec une volonté affichée de récupérer la mobilisation. Quelles conséquences ? Il est tout d’abord indéniable qu’une partie de la gauche radicale s’est renforcée, sans doute moins par le recrutement que par une mobilisation intensive dans ses propres rangs, et un aguerrissement d’une partie de ses troupes. D’un autre côté, les violences dues à l’extrême gauche (casse, attaque de policiers) ne contribuent pas à rendre les blacks blocs populaires (surtout auprès d’un mouvement à l’origine constitué de pères et de mères de familles, et globalement peu en phase avec les thèmes d’une extrême gauche estudiantine). Le coup de fouet donné par les gilets jaunes à l’extrême gauche est donc à nuancer. Il est trop tôt en revanche pour dire si la France Insoumise a retiré quelque chose de positif du mouvement, si ce n’est de se trouver davantage ancrée dans la case « populiste » (les résultats du parti aux élections européennes semblent indiquer qu’il n’en n’a rien tirer de plus). Un coup de frayeur En ce qui concerne la classe politique et médiatique (au sens large), l’histoire dira si nous pourrons parler d’un tournant. Dans tous les cas, nous pouvons parler d’un sévère coup de pression, surtout en ce qui concerne le pouvoir médiatique. Un sentiment de peur était palpable sur un certain nombre de plateaux de télévision (ainsi sur celui de Cnews lorsqu’un philosophe affirma candidement « comprendre la violence »), et les agressions qu’ont subies certains journalistes de terrain ont montré que la défiance envers les médias vire à l’hostilité franche. Dans le même temps, les réseaux sociaux permirent aux manifestants de disputer aux chaînes d’information en continu le monopole de la narration des évènements, dans une véritable guerre de l’information dans laquelle les médias mainstream semblent encore avoir l’avantage. Ces derniers disposent, en effet, de deux forces de frappes, l’une technique (avec le financement des puissants, ce qui est toujours utile) mais aussi idéologique, à travers notamment deux leviers : d’une part, la chasse au « fake news » qui n’est souvent qu’un moyen détourné de s’en prendre au fond d’un discours contestataire plutôt que de discuter de la vérité d’un fait ; d’autre part, le levier moral en soulignant à quel point les salauds de pauvres pensent mal. Quant aux politiques, la situation est la même bien qu’ils aient été physiquement épargnés (exception faite de la porte du ministère de Benjamin Griveaux, ex-porte-parole du gouvernement, et du charivari nocturne dont fut victime Marlène Schiappa fin mai). Dans le même temps, le pouvoir semble avoir repris l’initiative bien que cette reprise en main doive sans doute moins aux « concessions » du mois de janvier qu’à la tenue du « grand débat national », bien que largement identifié comme la campagne électorale déguisée du président de la république en vue des élections européennes. Ce débat présentait au moins l’avantage de permettre à Macron de simuler une réponse active face à une mobilisation qui l’a longtemps dépassé et qu’il avait cru pouvoir essouffler en jouant la montre. Il ne faut pas non plus oublier la répression sans précédent dans ses formes et son intensité, qui témoigne du fait que le régime s’est senti profondément attaqué (à tort au sens où la mobilisation visait un gouvernement, non la forme républicaine du gouvernement). Une contre-révolution ? En effet, ce serait se tromper que d’affirmer que le régime républicain est menacé voire attaqué en lui-même. A aucun moment la république n’a été visée en tant que telle, si ce n’est de manière marginale par des groupes précis. Les gilets jaunes ont ciblé une classe politico-médiatique, l’État, un « système », mais pas le régime. D’une certaine manière ce serait plutôt le contraire qui se serait produit. L’imaginaire du gilet jaune relève davantage du mythe de 1789 que de la révolution d’Octobre 1917 ou du 6 février 1934. En d’autres termes, le gilet jaune ne demande rien d’autre que l’application des promesses du régime républicain telles qu’enseignées dans les écoles, et son vocabulaire emprunte à celui de la seule révolution dont l’enseignement ait été capable de lui donner une image positive. La revendication phare du mouvement, le « RIC » (référendum d’initiative citoyenne), n’est rien de plus que la remobilisation du mythe de 1789 : celui de l’individu-citoyen exerçant le pouvoir avec le moins d’intermédiaires possibles (c’est le « modèle politique français » mis en lumière par Pierre Rosanvallon). Autrement dit, loin de menacer la république, le mouvement des gilets jaunes cherche à la refonder sur des bases davantage démocratiques. La valeur centrale du discours des gilets jaunes demeure l’égalité, plus que la liberté (deux valeurs en constante tension dans l’histoire des républiques françaises, et dont on cherche à dépasser les contradictions par la fraternité). Les revendications de ce type se sont multipliées à mesure que les blocages de ronds-points cédaient la place à des manifestations urbaines