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LE SOPHA

vous pas, continua-t-elle en baissant les yeux ; et comment n’en être pas tourmenté, quand le seul moyen que l’on ait pour s’en délivrer en fait lui-même naître tant !

— « Ce moyen, reprit-il vivement, est dans le fond moins à craindre qu’il ne le paraît. Je suppose (et plût au ciel que je ne supposasse rien !) que, fatigués de notre incertitude, sentant enfin qu’il est de notre devoir de nous en tirer, nous voulons connaître le plaisir, et juger de ses charmes par nous-mêmes ; quel serait le danger de cette épreuve, de ne pouvoir pas nous y attacher quand une fois nous l’aurions connu ? Pour des âmes un peu faibles, j’avoue que cela serait à risquer ; mais il me semble que, sans trop de présomption, nous pouvons un peu compter sur nous-mêmes. Si, comme, à ne vous rien cacher, je le présume, ce plaisir est moins séduisant qu’on ne le dit, ce ne sera pas la peine de nous livrer à des choses à la privation desquelles, flatteuses ou non, l’on a attaché de la gloire ; si au contraire elles peuvent porter dans l’âme un trouble aussi grand qu’on l’assure, nous nous en priverons avec d’autant plus de joie que nous serons sûrs qu’il y a beaucoup de vertu à le faire. »

« Ce raisonnement que sans doute Almaïde aurait détesté, si elle avait été plus à elle-même, fit sur une âme qui n’attendait plus pour succomber que l’apparence d’une