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LE SOPHA

— « Ah, ah ! dit-il, d’un air surpris, cela est très particulier !

— « Votre air railleur n’empêchera point que je ne dise vrai, répliqua-t-elle ; je n’avais pas encore rompu absolument avec lui, et c’était pour lui annoncer que je ne le verrais jamais…

— « Que vous passâtes, interrompit-il, tout le jour et toute la nuit avec lui. Je ne vous contredis pas sur le motif, tout extraordinaire qu’il est ; car enfin vous avouerez qu’il est rare qu’une femme se renferme vingt-quatre heures avec un homme quand elle ne veut que se brouiller avec lui. Mais comme une chose, pour être sans exemple, peut n’en être pas moins sensée, je conçois, moi qui ne cherche uniquement qu’à vous justifier, que Zâdis, recevant de vous la confirmation de son malheur, en a pensé mourir de désespoir à vos genoux, et que, touchée de l’abattement où votre inconstance le jetait, vous l’avez consolé avec toute l’humanité dont vous êtes capable, sans que vos soins pour lui prissent rien sur la fidélité que vous m’aviez jurée. Un homme désespéré est peu raisonnable. On a de la peine à l’amener à une conduite sensée ; il faut dire, redire, retourner mille fois la même chose ; essuyer des regrets, des reproches, des larmes, de la fureur : rien ne prend plus de temps. Au reste, je vous dirai que vous n’avez pas à regretter celui que vous avez