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LE SOPHA

ton pouvoir suprême m’arrache à Zéïnis, fais au moins que, quelque douloureux que me soit son souvenir, je ne le perde jamais ! »

« Pendant que mon âme parlait si tendrement à Zéïnis, cette fille charmante semblait s’abandonner à la plus douce rêverie, et je commençai à m’alarmer de la tranquillité avec laquelle elle avait pris ce songe, dont quelques instants auparavant je trouvais tant à me féliciter.

— « Zéïnis, me disais-je, est sans doute accoutumée aux plaisirs qu’elle vient de goûter. Quelque chose qu’ils aient pris sur ses sens, ils n’ont point étonné son imagination : elle rêve, mais elle ne paraît pas se demander la cause des mouvements dont elle a été agitée. Familiarisée avec ce que l’amour a de plus doux et de plus tendres transports, je n’ai fait que lui en retracer l’idée. Un mortel plus heureux a déjà développé dans le cœur de Zéïnis ce germe de tendresse que la nature y a mis. C’est son image, non mon ardeur, qui l’a enflammée ; elle connaît l’amour, elle en a parlé ; elle semblait, au milieu de son trouble, être occupée du soin de rassurer un amant qui peut-être est accoutumé à porter entre ses bras et ses craintes et son inquiétude. Ah ! Zéïnis ! s’il est vrai que vous aimiez, que, dans l’état où m’a mis la colère de Brahma, mon sort va devenir horrible ! »

« Mon âme errait entre toutes ces idées,