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LE SOPHA

crainte se peignirent tour à tour sur son visage ; elle le regarda quelque temps avant que de lui parler. Il me parut aussi agité qu’elle ; mais à son air timide et respectueux je jugeai que s’il était aimé, on ne le favorisait pas encore. Malgré son trouble et son extrême jeunesse (car il ne me parut guère plus âgé que Zéïnis), il semblait n’en être pas à sa première passion, et je commençai à espérer que je n’aurais de cette aventure que le chagrin que je pouvais le mieux supporter.

— « Ah ! Phéléas ! lui dit Zéïnis avec émotion, que venez-vous chercher ici ?

— « Vous, que j’espérais y trouver, répondit-il en se jetant à ses genoux ; vous sans qui je ne puis vivre, et qui voulûtes bien hier me promettre de me voir sans témoins.

— « Ah ! n’espérez pas, reprit-elle vivement, que je vous tienne parole ! Sortons, je ne veux pas rester plus longtemps dans ce cabinet.

— « Zéïnis, répliqua-t-il, m’enviez-vous le bonheur de rester seul un moment avec vous, et se peut-il que vous vous repentiez si tôt de la première faveur que vous m’accordez ?

— « Mais, répondit-elle d’un air embarrassé, ne puis-je pas vous parler ailleurs qu’ici, et si vous m’aimiez, vous obstineriez-vous à me demander une chose pour laquelle j’ai tant de répugnance ? »