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LE SOPHA

« Cette chambre, en effet, servait de retraite à une fille assez jolie, et qui par sa naissance, et par elle-même, étant ce qu’on appelle mauvaise compagnie, voyait cependant quelquefois les gens qui, dit-on, composent la bonne. C’était une jeune danseuse, qui venait d’être reçue parmi celles de l’Empereur, et dont la fortune et la réputation n’étaient pas encore faites, quoiqu’elle connût particulièrement presque tous les jeunes seigneurs d’Agra, qu’elle les comblât de ses bontés, et qu’ils l’assurassent de leur protection. Je doute même, quelque chose qu’ils lui promissent, que sans un intendant des domaines de l’Empereur qui prit du goût pour elle, la fortune eût sitôt changé de face.

« Abdalathif, c’est le nom de cet intendant, par sa naissance et par son mérite personnel, ne faisait pas une conquête brillante. Il était naturellement rustre et brutal, et depuis sa fortune, il avait joint l’insolence à ses autres défauts. Ce n’était pas qu’il ne voulût être poli ; mais persuadé qu’un homme comme lui honore quelqu’un quand il lui marque des égards, il avait pris cette politesse froide et sèche des gens d’un certain rang, qu’en eux on veut bien appeler dignité, mais qui dans Abdalathif était le comble de la sottise et de l’impertinence. Né dans l’obscurité la plus profonde, non seulement il l’avait oublié, mais même il n’y avait rien qu’il ne fît pour