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Page:Crébillon (Fils) - Le Sopha.djvu/43

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LE SOPHA

se donner une origine illustre ; il couronnait ses travers en jouant perpétuellement le seigneur ; vain et insolent, sa familiarité outrageait autant que sa hauteur ; ignoble et sans goût dans sa magnificence, elle n’était en lui qu’un ridicule de plus. Avec peu d’esprit et moins encore d’éducation, il n’y avait rien à quoi il ne crût se connaître et dont il ne voulût décider. Tel qu’il était cependant, on le ménageait, non qu’il pût nuire, mais il savait obliger. Les plus grands d’Agra étaient assidûment ses complaisants et ses flatteurs, et leurs femmes même étaient sur le pied de lui pardonner des impertinences qu’avec elles il poussait à l’excès, ou de ne rien refuser à ses désirs. Quelque couru qu’il fût dans Agra, il était quelquefois bien aise de se délasser des trop grands empressements des femmes de qualité, et de chercher des plaisirs qui, pour être moins brillants, n’en étaient pas moins vifs, et (selon ce qu’il avait l’insolence de dire) souvent guère plus dangereux.

« Ce fut un soir en sortant de chez l’Empereur, devant qui Amine avait dansé, que ce nouveau protecteur la ramena chez elle. Il promena dans son triste et obscur logement des regards orgueilleux et distraits, puis en daignant à peine lever les yeux sur elle :

— « Vous n’êtes pas bien ici, lui dit-il ; il faut vous en tirer. C’est autant pour moi que pour vous, que je veux que vous soyez plus