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LE SOPHA

était la plus complaisante des mères, exhortait sa fille à se conduire sagement dans le bonheur qu’il plaisait à Brahma de lui envoyer, et comparant l’état où elles allaient se trouver, faisait mille réflexions sur la providence des Dieux qui n’abandonne jamais ceux qui la méritent.

« Elle fit après cela une longue énumération des seigneurs qui avaient été amis de sa fille.

— « Combien peu leur amitié vous a-t-elle été utile, mon enfant ! lui disait-elle ; aussi, c’est bien votre faute ! Je vous l’ai dit mille fois, vous êtes née trop douce. Ou vous vous donnez par pure indolence, ce qui est un grand vice ; ou, qui ne vaut pas mieux et vous a donné de grands ridicules, vous vous prenez de fantaisie. Je ne dis pas qu’on ne se satisfasse quelquefois, à Dieu ne plaise ! mais il ne faut pas tellement se sacrifier à ses plaisirs, qu’on en néglige sa fortune ; il faut surtout éviter qu’on ne puisse dire qu’une fille comme vous peut se livrer quelquefois à l’amour, et malheureusement vous avez donné la-dessus matière à bien des propos. Enfin, vous êtes encore bien jeune, et j’espère que cela ne vous fera pas grand tort. Rien ne perd tant les personnes de votre condition que ces étourderies que j’ai entendu nommer des complaisances gratuites. Quand on sait qu’une fille est dans la malheureuse habitude de se