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LE SOPHA

s’emparait d’elle involontairement. Si dans le cours d’un entretien long et animé, il arrivait à Zulma de lui baiser la main ou de se jeter à ses genoux, Phénime s’effrayait, mais ne se fâchait pas ; c’était même si tendrement qu’elle se plaignait de ses entreprises !

— Et cependant, interrompit le Sultan, il ne les continuait pas ?

— Non, assurément, Sire, répondit Amanzéi ; plus il était amoureux…

— Plus il était bête, dit le Sultan, je le vois bien.

— L’amour n’est jamais plus timide, reprit Amanzéi, que quand…

— Oui, timide, interrompit encore le Sultan, voilà un beau conte ! Est-ce qu’il ne voyait pas qu’il impatientait cette dame ? À la place de cette femme-là, je l’aurais renvoyé pour jamais, moi qui vous parle !

— Il n’est pas douteux, reprit Amanzéi, qu’avec une coquette, Zulma n’eût été perdu : mais Phénime, qui réellement désirait de n’être pas vaincue, tenait compte à son amant de sa timidité. D’ailleurs, plus il ménageait les scrupules de Phénime, plus il s’assurait la victoire. Un moment donné par le caprice, s’il n’est pas saisi, ne revient peut-être jamais, mais quand c’est l’amour qui le donne, il semble que moins on le saisit, plus il s’empresse à le rendre.