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LE SOPHA

temps Zulma, sans pouvoir en dire davantage.

« Phénime, de son côté, abandonnée à tout son trouble, serrait tendrement Zulma dans ses bras, s’en arrachait pour le regarder, s’y rejetait, le regardait encore.

— « Zulma, lui disait-elle avec transport, ah ! Zulma, que j’ai connu tard le bonheur ! »

« Ces paroles étaient suivies de ce silence délicieux auquel l’âme se plaît à se livrer, lorsque les expressions manquent au sentiment qui la pénètre.

« Zulma cependant avait bien des choses encore à désirer, et Phénime, à qui son ardeur les rendait en ce moment presque aussi nécessaires qu’à lui-même, loin de vouloir rien opposer à ses désirs, s’y livra aveuglément. Il semblait même qu’elle fît encore plus pour lui qu’il ne faisait pour elle ; plus elle s’était défendue contre son amour, plus elle croyait devoir lui prouver combien sa résistance lui avait coûté, et lui faire une sorte de satisfaction sur les tourments qu’elle lui avait fait éprouver si longtemps. Elle aurait rougi de s’armer de cette fausse décence qui si souvent gêne et corrompt les plaisirs, et qui, paraissant mettre sans cesse le repentir à côté de l’amour, laisse, au milieu du bonheur même, un bonheur encore plus doux à désirer. La tendre, la sincère Phénime se serait crue coupable envers Zulma, si elle lui avait dérobé quelque chose de l’ardeur extrême qu’il lui