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Page:Crébillon (Fils) - Le Sopha.djvu/83

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LE SOPHA

trompais sur Moclès, et lorsque je le connus, il méritait que j’eusse de lui d’autres idées. Son âme alors était droite, et sa vertu sincère. Tout Agra le croyait plus sage même qu’il ne voulait le paraître ; personne ne doutait que son aversion pour les plaisirs ne fût réelle, et que, quelque durs que fussent ses principes, il ne les eût toujours suivis. L’on avait d’Almaïde (c’est le nom de la fille chez qui j’étais) des idées aussi favorables. L’étroite liaison qui était entre elle et Moclès n’avait donné aucun lieu à des soupçons qui leur fussent désavantageux, et quelle que soit, sur les liaisons intimes, la méchanceté du public, il n’y avait personne qui ne respectât la leur, et qui ne la crût fondée sur le goût qu’ils avaient pour la vertu.

« Moclès venait tous les soirs chez Almaïde, et, soit qu’ils fussent en compagnie, soit qu’ils fussent seuls, leurs actions étaient irréprochables, et leurs discours sages et mesurés. Communément ils agitaient quelques points de morale. Moclès, dans ces discussions, faisait toujours briller ses lumières et sa droiture. Une chose seule me déplaisait : c’était que deux personnes si supérieures aux autres, et qui tenaient toutes leurs passions dans des bornes si resserrées, n’eussent point triomphé de l’orgueil, et que mutuellement elles se proposassent pour exemple. Souvent même ne s’en reposant pas sur l’estime qu’ils avaient