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Page:Crébillon - Théâtre complet, éd. Vitu, 1923.djvu/231

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J’appris, non sans frémir, que son barbare père,
Prétextant sa fureur sur la mort de son frère,
De la grandeur d’un fils en effet trop jaloux,
Lui seul avait armé nos peuples contre nous ;
Qu’introduit en secret au sein de l’Arménie,
Lui-même de son fils avait tranché la vie.
À ma douleur alors laissant un libre cours,
Je détestai les soins qu’on prenait de mes jours,
Et, quittant sans regret mon rang et ma patrie,
Sous un nom déguisé j’errai dans la Médie.
Enfin, après dix ans d’esclavage et d’ennui,
Étrangère partout, sans secours, sans appui,
Quand j’espérais goûter un destin plus tranquille,
La guerre en un moment détruisit mon asile.
Arsame conduisant la terreur sur ses pas,
Vint, la foudre à la main, ravager ces climats :
Arsame, né d’un sang à mes yeux si coupable,
Arsame cependant à mes yeux trop aimable,
Fils d’un père perfide, inhumain et jaloux,
Frère de Rhadamisthe, enfin de mon époux.

Phénice

Quel que soit le devoir du nœud qui vous engage,
Aux mânes d’un époux est-ce faire un outrage
Que de céder aux soins d’un prince généreux
Qui par tant de bienfaits a signalé ses feux ?

Zénobie

Encor si dans nos maux une cruelle absence
Ne nous ravissait point notre unique espérance !…
Mais Arsame, éloigné par un triste devoir,
Dans mon cœur éperdu ne laisse plus d’espoir ;
Et, pour comble de maux, j’apprends que l’Arménie,
Qu’un droit si légitime accorde à Zénobie,
Va tomber au pouvoir du parthe ou des romains,
Ou peut-être passer en de moins dignes mains.
Dans son barbare cœur flatté de sa conquête,
À quitter ces climats Pharasmane s’apprête.

Phénice

Eh bien ! Dérobez-vous à ses injustes lois.
N’avez-vous pas pour vous les romains et vos droits ?
Par un ambassadeur parti de la Syrie,
Rome doit décider du sort de l’Arménie.
Reine de ces états, contre un prince inhumain
Faites agir pour vous l’ambassadeur romain :
On l’attend aujourd’hui dans les murs d’Artanisse.
Implorez de César le secours, la justice ;