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ACTE IV


Scène I

Cicéron

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Seul.

Orgueilleux monuments d’une grandeur passée,
Qui par celles des dieux n’était point effacée,
Et vous, marbres sacrés de nos premiers aïeux,
Qui faisiez l’ornement de ces superbes lieux,
En vain de vos travaux célébrant la mémoire,
Rome a cru de vos noms éterniser la gloire :
Bientôt vous ne serez qu’un horrible débris,
Et de nouveaux objets de larmes et de cris ;
Déjà les rejetons de vos tiges fameuses,
D’Antoine et de César victimes malheureuses,
N’offrent plus à nos yeux qu’un mélange confus
De morts et de mourants dans la fange étendus.

Il jette les yeux sur le tableau
des proscriptions et il y voit son nom.

Mais parmi tant d’horreurs, quelle gloire imprévue
Vient ranimer mon coeur et briller à ma vue ?
Mon nom ne sera plus étouffé dans l’oubli,
Et dans ses dignités le voilà rétabli.
Enfin je suis proscrit ; que mon âme est ravie !
Je renais au moment qu’on m’arrache la vie.
Héros infortunés, souffrez que ce tableau,
Me serve, ainsi qu’à vous, de trône et de tombeau ;
Je mourrai dans ton sein, ô ma chère patrie,
Et que ne peut mon sang épuiser la furie
Des cruels triumvirs qui s’abreuvent du tien ?
Qu’avec plaisir pour toi j’aurais donné le mien !
Au milieu des tourments, je serais mort tranquille,
Je vivais pour toi seule, et je meurs inutile.
Quelqu’un vient, c’en est fait : voici l’heureux instant
Qui va livrer ma tête au glaive qui l’attend.
Mais je l’espère en vain, c’est le sage Mécène,
Qu’une pitié cruelle en tremblant me ramène,
Et qui me croit peut-être accablé de douleur,
À l’aspect du seul bien qui peut toucher mon coeur.

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