paire d’escarpins. L’opinion de notre hôte ne fut pas favorable à l’auteur du Chat Noir. Je me rappelle notamment qu’il nous dit que M. Poe était un esprit bizarre et dont la conversation n’était pas du tout conséquioutive. Sur l’escalier, Baudelaire me dit en enfonçant son chapeau avec violence : — « Ce n’est qu’un yankee ! »
Pour que sa copie fût digne du modèle, aucune démarche, aucune recherche ne lui coûta. J’ai dit que, dès son enfance, Baudelaire avait appris l’anglais. Non content de rouvrir ses dictionnaires, il demanda à la pratique quotidienne de la conversation un supplément d’expérience ; mais ce n’est pas chez les hautes classes que se conserve, dans son pittoresque et sa saveur originale, le génie d’une langue :
« Il prit longtemps pour conseil un tavernier anglais de la rue de Rivoli, chez lequel il allait boire le whisky et lire le Punch en compagnie de grooms du faubourg Saint-Honoré. »
Quant au minutieux scrupule qu’il apportait dans l’élaboration de ses traductions, on en peut juger par cette simple anecdote :
« Un jour, le voyant se creuser la tête à propos d’un détail d’orientation, j’eus le malheur de le plaisanter sur sa rigueur d’exactitude,
» — Eh bien ! dit-il en relevant la tête, et les gens qui lisent en suivant sur la carte ! »
Quelques lignes d’une lettre de Baudelaire, adressée à M. Armand Fraisse, rédacteur du Salut Public, de Lyon, qui les a citées dans une étude biographique sur notre poète (mai 1869), révèlent une des principales raisons de ce dévouement extraordinaire chez un traducteur :