Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/146

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parce que nous savons (moi surtout) qu’il y a des nœuds difficiles à délier.

» Et enfin, enfin, il y a quelques jours tu étais une divinité, ce qui est si commode, ce qui est si beau, ce qui est si inviolable. Te voilà femme maintenant. Et si, par malheur pour moi, j’acquiers le droit d’être jaloux ! Ah ! quelle horreur, seulement d’y penser ! Mais avec une personne telle que vous, dont les yeux sont pleins de sourires et de grâces pour tout le monde, on doit souffrir le martyre !

» La seconde lettre porte un cachet d’une solennité qui me plairait, si j’étais bien sûr que vous la comprenez : Never meet or never part ! Cela veut dire positivement qu’il vaudrait bien mieux ne s’être jamais connu, mais que, quand on s’est connu, on ne doit pas se quitter : sur une lettre d’adieux, ce cachet serait très plaisant.

» Enfin, arrive ce qui pourra ! je suis un peu fataliste ; mais ce que je sais bien, c’est que j’ai horreur de la passion, — parce que je la connais, avec toutes ses ignominies. Et voilà que l’image bien-aimée, qui dominait toutes les aventures de la vie, devient trop séduisante.

» Je n’ose pas trop relire cette lettre ; je serais peut-être obligé de la modifier ; car je crains bien de vous affliger. Il me semble que j’ai dû laisser percer quelque chose de la vilaine partie de mon caractère.

» Adieu, chère bien-aimée. Je vous en veux un peu d’être trop charmante. Songez donc que, quand j’emporte le parfum de vos bras et de vos cheveux, j’emporte aussi le désir d’y revenir. Et alors, quelle insupportable obsession !

» Charles (i). »

(i) La correspondance de Baudelaire avec Jeanne Duval ayant été détruite (un seul billet dans les Lettres, 17 décembre 1859), on ne connaît de lettres d’amour signées de son nom que les billets à M me Sabatier et une lettre à M mo Marie X.,. publiée dans le Journal par M. Jules Claretie (Recueillie par les Lettres).