Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/40

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notes de M. Le Vavasseur jettent une vive lumière sur l’esprit, le caractère et la vie du jeune poète qui était devenu son ami :

« Si ma vieille mémoire ne me trahit pas, c’était dans l’hiver de 1838-1839 que je vis Baudelaire pour la première fois, à la pension Bailly[1], dans la chambre d’un de mes compatriotes et bons amis qui venait d’achever ses études au collège Louis-le-Grand, Louis de la Gennevraye. Là aussi se trouvait Ernest Prarond, venu d’Abbeville. Prarond faisait des vers, moi aussi ; nous nous liâmes d’amitié tendre, surtout Baudelaire et moi. Cela devait être, ayant les caractères les plus différents, les allures les plus dissemblables et l’aspect extérieur le plus complètement opposé. Il était brun, moi blond ; de taille moyenne, moi tout petit ; maigre comme un ascète, moi gros comme un chanoine ; propre comme une hermine, moi négligé comme un caniche ; mis comme un secrétaire d’ambassade anglaise, moi comme un vendeur de contre-marques ; réservé, moi bruyant ; libertin par curiosité, moi sage par indolence ; païen par révolte, moi chrétien par obéissance ; caustique, moi indulgent ; se tourmentant l’esprit pour se moquer de son cœur, moi laissant tous les deux trottiner comme une attelée… »

Ils débutèrent tous deux par une collaboration au premier Corsaire[2], gazette littéraire qui justifiait son

  1. C’était, place de l’Estrapade, une sorte de pension bourgeoise, ou plutôt d’abbaye de Thélème, où nombre de parents de province envoyaient, à cette date, leurs fils. On y menait, sans scandale, la vie la plus joyeuse et la plus libre du monde. Le maître de la maison, le P. Bailly, rédigeait l’Univers avec Melchior du Lac avant que Louis Veuillot prît la direction du journal (1842). — Baudelaire y connut notamment Marc Trapadoux dont le P. Bailly avait fait le précepteur « provisoire » de son fils Vincent de Paul.
  2. Vers cette époque se place une anecdote inédite que