Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/441

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un livre à part ; car, à ma connaissance du moins, rien de pareil ne se trouve, à ce degré, dans nul autre poète. Chez la plupart, en effet, la pensée, au lieu de sous-tendre vigoureusement la forme, la laisse trop souvent flasque ; chez vous, elle crève l’enveloppe.

» Une autre qualité moins essentielle, mais qui n’est pas plus à dédaigner en poésie qu’en prose et que vous possédez, au moins, à l’égal de V. Hugo ou de Gautier, c’est ce sentiment parfait de la valeur relative des sons et de leur harmonie contrastée, grâce auquel un vers flatte l’oreille comme une voluptueuse musique.

« Et comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde, » Tu sillonnes gaîment l’immensité profonde » Avec une indicible et mâle volupté. »

» Des vers semblables (i) s’écrasent dans la bouche comme une dragée savoureuse.

» Je dirai autre chose : je suis convaincu que si les lettres qui concourent à former des vers de ce genre, étaient traduites par les formes géométriques et les nuances colorées que l’analogie leur assigne respectivement, ils offriraient la contexture agréable et le beau ton de maints tapis persans ou des châles de l’Inde.

» Mon idée vous semblera burlesque : l’envie m’a pris parfois de dessiner et de colorier vos vers.

» Enfin vos œuvres sont à la destination des gens qui savent lire. Ils ne sont pas nombreux. Aussi avez (i) Elévation (Fleurs du mal, éd. des OE. C, III).