Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/51

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devint le sien, comme on le voit par la lettre, déjà citée, de Mme Aupick :

« Baudelaire fut embarqué, comme pilotin, à bord d’un navire marchand qui partait pour l’Inde. Il parlait avec horreur des traitements qu’il avait subis. Et quand on songe à ce que devait être cet adolescent élégant, frêle, presque une femme, et aux mœurs des marins, il est plus que probable qu’il était dans le vrai ; nous frémissions en l’entendant. »

Je crois le lecteur suffisamment édifié sur la véracité des récits de Baudelaire[1] à ses jeunes amis, — qui d’ailleurs n’en étaient point toujours dupes :

« La vérité vraie est que Baudelaire, embarqué malgré lui, brûla la politesse à l’Inde, peut-être même au navire qui l’emportait, aussitôt qu’il le put. Dans tous les cas, il ne nous parlait jamais de ce voyage. À peine, à son retour, nous dit-il quelques mots d’une station dans l’île Maurice ou à l’île Bourbon. A-t-il poussé son voyage plus loin ? Je ne le crois pas… Il est certain que la pièce l'Albatros lui fut suggérée par un incident de sa

  1. Le tort que Baudelaire se causa à lui-même par l’outrance des bravades dont il ne cessa jamais d’offenser l’opinion publique, est incroyable. On lit dans la Vie de Charles Baudelaire : « Tout autre que lui fût mort des ridicules qu’il se donnait à plaisir, dont les effets le réjouissaient, et qui lui faisaient porter allègrement comme des grâces la conscience inébranlable de sa valeur. » L’aveu est déjà net, si l’on songe au caractère apologétique que revêt, bien souvent, la Vie. Mais voici plus net encore : Asselineau, n’écrivant cette fois que pour Poulet-Malassis, — Baudelaire est alité et déjà condamné — constate : « Si notre ami se tire de là, il pourra prendre une fière revanche ; car mon cher, cela est bête à dire, sa maladie lui aura fait du bien. On s’est accoutumé à parler de lui avec gravité » (Lettre inédite).