Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semble possible de le prouver. Sur les dix mois que dura son absence, le trajet par mer, aller et retour, en prenait neuf environ, la navigation à voiles ne permettant pas alors plus de rapidité. Le temps même lui eût manqué pour entreprendre un tel négoce. Qu’il ait raconté l’avoir fait, cela est croyable. — Un poète marchand de bœufs ! ingénieuse réminiscence d’Apollon, gardien des troupeaux d’Admète ! L’antithèse l’aura tenté, et il n’aura pas résisté au plaisir d’en amuser ses auditeurs. Puis, quel admirable grief il se donnait par là contre son beau-père[1] !

Nous pouvons donner un autre exemple des audacieuses mystifications de Baudelaire. Voici ce que M. Buisson lui entendit raconter de l’existence qu’il prétendait avoir menée sur le navire commandé par un capitaine qui était l’ami de son beau-père et qui

  1. La fin du récit de Maxime du Camp est aussi pleine d’assertions inexactes que le commencement. La mère du poète lui aurait envoyé secrètement quelque argent, « pendant qu’il se promenait sur des éléphants et faisait des vers ». Il aurait appris l’anglais pendant son voyage ; enfin il aurait amené du Cap « une négresse (ou quarteronne) qui, durant bien des années, a gravité autour de lui ». (Souvenirs littéraires, t. II, p. 81-82.)

    On ne s’explique pas comment Mme Aupick aurait pu envoyer à son fils un argent, qu’il ne pouvait, vu la rapidité de son voyage, se faire adresser nulle part. Ce n’est ni pendant la traversée, ni pendant son très court séjour dans l’Inde, que Baudelaire étudia l’anglais ; sa mère, qui le savait, le lui avait appris. Quant à Jeanne Duval, que Du Camp désigne dans cette dernière phrase, c’est à Paris que Baudelaire l’a connue ; on le verra plus loin (ch. iv).